Quatre cruelles vérités sur le changement climatique
Par DYER GWYNNE ( journaliste canadien, conférencier, auteur, etc..)
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Associated Press: Alik Keplicz
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Nous avons déjà consommé environ les deux tiers de la réserve mondiale de céréales.
Il y a environ deux ans, je me suis aperçu que, dans divers pays, l’armée commençait à élaborer à l’interne des scénarios de changement climatique. Des scénarios fondés sur les prévisions scientifiques de températures à la hausse, de diminution des récoltes et d’autres conséquences physiques, posant ainsi la question des répercussions sur la politique et les stratégies en la matière.
Selon ces cas d’étude, les gouvernements seraient incapables de nourrir la population de leur pays et les États défaillants se multiplieraient. Des vagues de réfugiés climatiques s’abattraient sur les frontières des pays plus fortunés. Ils prédisent même des guerres entre les pays ayant des fleuves communs. J’ai alors décidé d’interviewer toutes les personnes auxquelles je pouvais accéder: pas seulement des responsables militaires hauts gradés, mais aussi des scientifiques, des diplomates et des politiques.
Au bout de quelque 18 mois à réaliser 70 entretiens dans une douzaine de pays, je suis parvenu à quatre conclusions complètement insoupçonnées au début de ma démarche. La première est simple: la communauté scientifique est vraiment inquiète. Ses constatations sur les deux ou trois dernières années suggèrent que tous les phénomènes se produisent bien plus vite que les modèles climatiques.
Les gouvernements, enfin sensibilisés au danger, s’efforcent toujours d’atteindre des objectifs d’émission insuffisants. Si on veut éviter un réchauffement planétaire incontrôlable, le véritable objectif de réduction des émissions à atteindre est probablement 80 % d’ici à 2030. Il faudrait, par ailleurs, cesser presque entièrement de brûler des combustibles fossiles (que ce soit du charbon, du gaz ou du pétrole) avant 2050.
La deuxième conclusion est que les généraux ont vu juste. La nourriture est un problème crucial, d’autant plus que l’offre mondiale de produits alimentaires est déjà très limitée. Au cours des cinq dernières années, nous avons déjà consommé environ les deux tiers de la réserve mondiale de céréales, laissant seulement 50 jours de réserve. Une augmentation d’un seul degré Celsius de la température moyenne du globe écornera sérieusement la production alimentaire dans la quasi-totalité des pays plus proches de l’équateur que des pôles. Et les greniers de la planète en font presque tous partie.
Dans ces conditions, face à une offre insuffisante, le marché mondial des céréales disparaîtra. Les pays qui ne peuvent plus nourrir leurs habitants ne pourront pas échapper à leurs problèmes en achetant des céréales importées, même s’ils en ont les moyens. Des réfugiés affamés traverseront en masse les frontières, des États entiers tomberont dans l’anarchie et certains pays risquent de s’emparer des terres ou de l’eau de leurs voisins.
Ce sont des scénarios que le Pentagone ainsi que d’autres équipes de planification militaire étudient présentement. Le fait est que ces scénarios pourraient devenir réalité d’ici moins de 15 ou 20 ans! Si cette situation critique se généralise, on pourra difficilement faire en sorte que des accords internationaux obligent ou continuent d’obliger les États à gérer des réductions d’émissions de gaz à effet de serre pour éviter une accentuation du réchauffement.
La troisième conclusion est qu’il existe un point de non-retour à partir duquel on ne peut plus arrêter le réchauffement. Et nous nous dirigeons sans doute tout droit vers ce point de non-retour. Il s’agit du seuil à partir duquel un réchauffement anthropogénique (causé par l’homme) crée d’énormes dégagements de dioxyde de carbone depuis les océans de plus en plus chauds ou des dégagements similaires de dioxyde de carbone et de méthane depuis le pergélisol. Ou les deux. La plupart des climatologues estiment que ce seuil avoisine un réchauffement de deux degrés Celsius.
Une fois ce seuil dépassé, les hommes n’auront plus aucun contrôle sur le climat: la réduction de nos propres émissions de gaz à effet de serre n’arrêtera peut-être plus le réchauffement. En fait, nous allons sûrement manquer notre échéance. On ne peut évidemment pas rattraper les dix années perdues, et d’ici à ce qu’un nouvel accord mondial de remplacement au protocole de Kyoto soit négocié et entre en vigueur, il ne restera probablement plus assez de temps pour maintenir le réchauffement juste en deçà du seuil à ne pas atteindre.
Dernière conclusion: nous allons devoir tricher. Ces deux dernières années, des scientifiques ont suggéré plusieurs techniques de "géoingénierie" pour intervenir directement sur la température et l’empêcher de monter. Nous pourrions installer provisoirement un écran chimique filtrant les rayons du soleil dans la stratosphère en la saupoudrant de particules de sulfure, par exemple. Ou épaissir artificiellement les nuages marins de basse altitude pour qu’ils produisent un rayonnement solaire plus important.
Il ne s’agit pas de solutions définitives, simplement de méthodes permettant de gagner du temps pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre sans déclencher un réchauffement incontrôlable entre-temps. Mais la situation devient très grave et nous verrons probablement ces techniques à l’épreuve dans cinq ans. Bien que ça ne soit pas facile et que nous n’ayons pas de garantie de réussite, il est possible de gérer cette crise. Comme cet Irlandais disait un jour à un voyageur égaré: si c’est là que je devais aller, ce n’est pas d’ici que je partirais.
Le 14/12/08 ( /www.capacadie.com/AcadieNouvelle/2008/12 /6/Quatre_cruelles_809.cfm )
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